Yves Léveillé, compositeur sans frontières

14 mai 2019

Catégorie Le Journal de Nicolas Houle
Types Entrevue
Écrit par : Francis Patenaude

Yves Léveillé, compositeur sans frontières

Vous le savez peut-être, les dernières semaines ont été bien remplies au Palais Montcalm. Nous mettons la touche finale à la programmation d’automne — on vous rappelle que le lancement sera le 28 mai 2019, à 17 h 30 —, mais il y a eu quelques changements dans l’équipe, si bien que je me retrouve désormais à la Direction de la programmation. Il n’est pas question pour moi d’abandonner le Journal, mais j’aurai besoin d’un coup de main pour que l’on maintienne les rendez-vous hebdomadaires. C’est ainsi que mon collègue Francis Patenaude vient en renfort. Vous le connaissez déjà sans peut-être le savoir, puisque à titre de Coordonnateur au marketing numérique et de contenu, il se charge entre autres d’animer les comptes du Palais Montcalm dans les réseaux sociaux. Grand amateur de musique classique, il est aussi curieux de ce qui se trame dans les autres styles. Il s’est ainsi entretenu avec Yves Léveillé, qui s’arrêtera à la salle D’Youville avec ses musiciens le 24 mai 2019, à 20 h.

Nicolas Houle


Francis Patenaude : Vous vous définissez à la fois comme pianiste et compositeur, et le milieu musical a maintes fois souligné votre travail dans ces deux volets. Dites-moi, après plus de 30 années de carrière, est-ce que la complémentarité entre l’interprétation et la composition a toujours été aussi évidente?

Yves Léveillé : Plus que jamais, je dirais. Quand j’ai commencé, j’ai fait des études en composition. Alors, évidemment, je priorisais beaucoup l’écriture, quoi que je maintenais toujours mon côté pianistique. Tranquillement, en faisant du jazz – le champ que je voulais développer – l’aspect instrumental devenait très important. Évidemment, il y a toute une dimension en performance où le jeu instrumental prend le relais pour développer des idées musicales. Finalement, les deux évoluent ensemble, les deux sont essentiels maintenant, l’un est la complémentarité de l’autre. En performance, cette musique évolue, se bonifie par la qualité de l’interprétation. Il y a aussi la dimension improvisée, qui fait que la pièce peut prendre des directions insoupçonnées parfois dans la spontanéité.

 

 

FP : Est-ce que la carrière de l’interprète Yves Léveillé aurait connu le même destin sans la composition, en ne jouant que des œuvres d’autrui ou des standards?

YL : Non. Non, c’est clair. Très tôt, j’ai su que je voulais faire ma musique, parce que c’était ce qui m’intéressait le plus. Ceci dit, cela ne m’empêche pas de jouer des standards ou d’en adapter pour le plaisir de jouer, parce que toute la tradition de l’école jazzistique est là. Mais, je me suis toujours senti comme un créateur. C’est sûr que c’est un processus plus long parfois, parce que tu dois faire une recherche à travers toutes tes influences. Tu essaies de te définir davantage, de faire émerger ta personnalité, ce qui peut prendre plusieurs années. Parallèlement à cela, j’ai compris un moment donné que si je voulais poursuivre ma carrière comme créateur, je devais aussi prendre en main ma carrière. En 2002, j’ai fondé mon propre organisme, Les Productions Yves Léveillé et, petit à petit, je faisais des productions de concerts. Je me trouvais finalement à être producteur, coordonnateur d’un organisme culturel, il a fallu que j’apprenne ce métier-là. J’ai eu du coaching pour comprendre la mécanique de ça, autant au niveau de l’organisation, de l’administration, du conseil d’administration, et tout. Petit à petit, j’ai réussi à avoir une reconnaissance des subventionneurs en tant qu’organisme qui s’investit dans le milieu. Évidemment, j’ai fondé ça pour pousser davantage ma musique et mes projets. Cela a pris une certaine envergure, et maintenant j’ai des moyens pour faire des productions et rassembler des gens autour de moi, dont des plus jeunes.

FP : Votre feuille de route est impressionnante et les collaborations, nombreuses. Vous vous êtes entouré d’artistes de haut niveau comme Yannick Rieu (saxophone), Eri Yamamoto (piano), Marie-Josée Simard (percussions) et François Bourassa (piano), pour ne nommer qu’eux. Quel est votre secret pour rassembler autant de talent autour de chacun de vos projets?

YL : C’est la persévérance et la pérennité dans son travail. J’ai développé une collaboration avec Yannick [Rieu] depuis quelques années parce que, entre autres, mon organisme collabore avec son organisme, Les Productions Yari, sur notre projet de duo qui s’appelle Y2. C’est un projet avec nos musiques, mais qui est axé sur l’improvisation et la spontanéité. À New York, quand j’ai eu le Studio du Québec en 2004, j’ai rencontré Eri Yamamoto et on a commencé à faire des projets. Marie-Josée [Simard], elle est venue voir l’un de mes concerts et on a discuté après, elle voulait faire un projet avec moi. C’est vraiment le réseau qui s’installe parce que tu es là, parce que tu continues ton travail. Un moment donné, des liens naturels se font. C’est sûr qu’il y a des musiciens avec qui j’aime jouer parce qu’il y a une affinité du côté humain.

 

 

FP : Est-ce que de pareilles collaborations sont nécessaires pour faire vivre le jazz contemporain?

YL : Quand j’écris, c’est sûr que je me retrouve souvent dans mon propre univers, mais je pense que si on veut évoluer comme musicien, artiste et humain, il faut… et c’est le propre du jazz… c’est à travers les collaborations qu’on apprend et qu’on se découvre soi-même. Je suis privilégié de travailler avec des musiciens qui sont vraiment extraordinaires, parmi les meilleurs. À travers ces gens-là, j’apprends beaucoup. Ces musiciens ont leur propre univers, sont en confiance dans leurs moyens, donc ils sont capables de se rendre disponibles pour d’autres projets, de s’abandonner dans ces projets-là. Plus un musicien se connait, connait son univers, plus il peut jouer dans d’autres contextes et s’adapter à ces contextes-là, être au service de la musique. Pour résumer, je pense que c’est à travers les autres qu’on apprend, qu’on évolue. C’est sûr que je suis pianiste, je peux faire des projets solos, ça m’est arrivé. Mais j’aime bien jouer avec d’autres, justement à cause de l’interaction.

FP : On a pu apprécier votre musique en Asie, en Europe et aux États-Unis. Comment votre œuvre est-il reçu à l’international? Est-ce que cela diffère de la réception du public québécois?

YL : Ce n’est pas nécessairement différent. J’ai joué à New York à quelques reprises, au Lincoln Center, cela a été extraordinaire. Si tu as confiance en ce que tu fais, que tu y crois, un moment donné, les gens qui suivent le jazz et qui aiment la musique un peu plus spécialisée – moi c’est sûr que c’est un jazz un peu plus contemporain mais qui reste quand même accessible, je crois qui s’écoute bien – on a toujours un public quelque part, ça ne m’inquiète pas. En Chine, j’ai fait trois tournées, ça fonctionne très bien. Quand les gens ouvrent leur cœur, ils sont prêts à être surpris, à découvrir. Ça fonctionne bien, c’est assez universel. C’est sûr que les moyens ne sont pas les mêmes. Quand tu prends l’exemple d’aller tourner en Chine, il y a tellement de monde là-bas qu’il y a un potentiel magnifique. On a fait de magnifiques salles de concert avec 400-500 personnes par concert. J’adore jouer au Québec, mais c’est sûr qu’il y a moins de gens, on finit toujours par faire une tournée. C’est un travail perpétuel, il faut toujours être à l’affût, développer son réseau, garder les contacts avec les diffuseurs, être vigilant. Ça, c’est mon côté entrepreneur.

 

 

FP : En tant que Montréalais originaire de Lévis, vous n’en serez pas à votre première visite au Palais Montcalm. Notamment, vous avez eu l’occasion de jouer sur l’orgue Casavant de la salle Raoul-Jobin lors du concert d’inauguration de septembre 2013, et avec les Violons du Roy en compagnie de la comédienne Marie-Thérèse Fortin en 2017. Quels souvenirs gardez-vous de ces expériences?

YL : C’était extraordinaire! Les deux expériences étaient très différentes, la réception avait été très bonne. On était dans un contexte particulier, si tu prends l’orgue Casavant. La personne responsable à l’époque m’a demandé de faire quelque chose de spécial. J’ai dit « écoute, je ne suis pas organiste, on peut toujours essayer ». C’était vraiment une prise de risque. J’ai dit « Assure-toi d’avoir au moins une contrebasse et une batterie, pour qu’on puisse faire un petit numéro ». Alors je n’avais pas à jouer le pédalier. La personne responsable m’a suggéré des jeux d’orgue pour certaines parties de la pièce. On avait fait un standard que les gens reconnaîtraient tout de suite. Ça avait très bien fonctionné, c’était impeccable avec les jeux d’orgue. Pour Marie-Thérèse [Fortin], c’était extraordinaire, c’était le projet Marie-Thérèse Fortin chante Barbara, qu’on remet occasionnellement en tournée, et qui évolue toujours. Cette fois-là, j’avais fait les arrangements pour Les Violons du Roy. En même temps, j’en avais profité pour faire une première d’une œuvre que j’avais écrite.

FP : Très bientôt, vous serez de passage au Palais Montcalm avec quatre jazzmen de premier plan [Yannick Rieu, Guy Boisvert, Jacques Kuba Séguin et Kevin Warren]…

YL : … Oui, de très grands musiciens de jazz. Ce sera le lancement de mon nouvel album Phare, mon 8e sur l’étiquette Effendi. C’est vraiment un événement spécial. Je lance mon album le 22 mai à Montréal au Petit Outremont, et à Québec le 24 mai. Donc c’est un concert-lancement d’album.

FP : Vous et votre quintette vous êtes rassemblés pour la première fois en 2017. Qu’est-ce qui vous a motivé à rassembler ces musiciens à nouveau?

YL : En fait, j’ai fait une première rencontre lorsque j’ai célébré mon 30e anniversaire de carrière au Théâtre Outremont en 2017. En 2018, j’ai organisé un événement au [Théâtre] Outremont avec ces musiciens. Cela m’a convaincu que c’était le groupe avec lequel je voulais évoluer pour faire mon prochain disque.

 

 

FP : Le 24 mai prochain, sur quelles impressions voudriez-vous laisser le public à la fin du concert? Un sentiment, une réflexion, un état d’esprit?

YL : Avec un sentiment d’avoir vécu une expérience particulière, une expérience de communication. J’aimerais que cela leur appartienne, qu’ils aient le sentiment d’avoir vécu leur propre expérience à travers ma musique. C’est un moment de partage, finalement. J’aime bien que les gens puissent voyager dans leur tête. Ils vont repartir avec leurs propres images, leur propre vécu. C’est bien que la musique t’appartienne de moins en moins, qu’elle appartienne aux gens.

Yves Léveillé sera en concert à la salle D’Youville du Palais Montcalm (Québec, Canada) le 24 mai 2019.