Omar Sosa : Musicien sans frontières

7 mars 2019

Catégorie Le Journal de Nicolas Houle
Types Entrevue
Écrit par : Nicolas Houle

Omar Sosa : Musicien sans frontières

Omar Sosa ne reste jamais longtemps au même endroit. Originaire de Cuba, il a transité par l’Équateur et les États-Unis avant de s’établir en Espagne. Au plan musical, le pianiste affiche le même souci de faire tomber les frontières, variant les rencontres au fil de ses projets. Pour sa nouvelle visite au Palais Montcalm, le 13 mars, le musicien s’est entouré du joueur de kora Seckou Keita et du percussionniste Gustavo Ovalles. Entretien.


Nicolas Houle : Vous revenez au Palais Montcalm, de nouveau en trio, mais avec une formation très différente de celle de votre passage précédent, alors que vous étiez avec Paolo Fresu et Trilok Gurtu. Comment décririez-vous ce nouveau trio?

Omar Sosa : Ce trio est davantage ancré dans la tradition africaine, car nous avons Seckou Keita à la kora et Gustavo Ovalles aux percussions afro-cubaines, aux percussions africaines et aux percussions vénézuéliennes, alors c’est un peu différent. Ce concert est basé sur nos traditions vénézuéliennes, cubaines et africaines.

 

 

NH : Parlez-moi de votre complicité avec Seckou Keita. Vous l’avez rencontré une première fois lors d’un concert à Londres, en 2012, et visiblement, il y a quelque chose qui a cliqué entre vous deux, non?

OS : Les collaborations surviennent souvent lorsque vous ne connaissez pas le musicien et que quelque chose se passe sans que ce ne soit planifié.  Parfois, il y a un gérant qui vous suggère de collaborer avec telle ou telle personne parce que ce serait bon pour votre carrière… Ça peut donner de bonnes choses, mais je crois que c’est lorsque vous vous retrouvez dans un jam et que vous avez une bonne complicité avec quelqu’un que vous devez poursuivre cette aventure, parce que ça provient de quelque chose d’authentique et de naturel. C’est ce qui s’est passé avec Seckou lorsque je l’ai rencontré à Londres. Il a joué de sa kora, j’ai joué de mon piano. On était les deux seuls instruments mélodiques dans ce concert – Marque Gilmore était le batteur – et quand on a terminé le concert, je lui ai dit « faisons quelque chose ensemble ».  Il m’a dit ok, voici mon numéro de téléphone et deux semaines plus tard, je l’appelais pour lui dire « j’ai du temps pour aller en studio, tu es libre? » Il a dit oui et maintenant vous avez l’album Transparent Water entre vos mains!

NH : Il y a une philosophie derrière le titre de ce projet, non?

OS : C’est très important de défendre la philosophie que nous avons : nous devons prendre soin de l’eau, de l’eau transparente sur cette planète, car si nous avons des ennuis avec l’eau de source, nous allons avoir de très grands problèmes. Bien des pays sur la planète ont des problèmes, qu’il s’agisse de Cuba, du Venezuela, du Sénégal, d’Haïti et même des États-Unis : j’ai pu le voir lorsque j’ai passé du temps à Los Angeles. On veut dire, « hé tout le monde, c’est important de prendre soin de l’eau, c’est important de prendre soin de la planète ».

NH : Aviez-vous l’idée d’explorer cette thématique dès le départ?

OS : Oui! Lorsque je fais un projet, avant que la musique n’arrive, il y a quelque chose qui me touche en termes de philosophie, d’action, de façon de penser. Quelque chose de profond doit activer mon âme pour que j’embarque ensuite dans le processus créatif. Avec Seckou, dès le départ, c’était clair : ce que l’on dit, à la base, c’est que c’est important de communiquer ensemble, car nous provenons de différents endroits. Et qu’est-ce qui est important, qu’est-ce qui est fondamental? L’eau. C’est fondamental. Et encore plus avec Seckou, car il ne boit pas d’alcool! Si j’étais avec Paolo Fresu, je dirais : le vin, mais avec Seckou, c’est simple, ce qui est le plus important, c’est l’eau! L’élément le plus puissant dans l’humanité, c’est l’eau. L’idée était aussi de créer de la musique dans ce concept en étant transparent. D’utiliser et d’écouter les silences et de donner le bon rôle aux silences et aux notes que nous ne jouons pas. Car comme disent tous mes maîtres, Monk, Miles, Bill Evans, Satie, Debussy, Chopin, tout ce que j’entends dans leur musique sont les notes qu’ils ne jouent pas. Les notes qu’on joue donnent la chance de rendre les silences puissants. Seckou et moi avons décidé de présenter les côtés mélodiques de nos pays de façon contemplative et l’image que nous avions toujours en tête était l’eau transparente.

 

 

NH : À cela vous avez aussi ajouté d’autres instruments, provenant de pays comme le Japon, la Chine ou la Corée…

OS : C’est un projet avec beaucoup d’éléments, avec des silences, avec des éléments de Chine, d’Inde, de Corée, du Japon. Et dans notre musique, ils ne se font jamais compétition, ils se parlent, se donnent de l’espace et se respectent. Dans certaines pièces vous pouvez entendre le koto et la kora et un des trucs dont je suis très heureux, c’est qu’on ne peut plus distinguer s’il s’agit du koto ou de la kora et ça veut dire qu’ils vont parfaitement ensemble. C’est comme nous : nous sommes des frères et des sœurs, peu importe d’où nous venons.

NH : Un élément qui est particulier est que vous êtes originaire de Cuba, mais vivez en Espagne; Seckou est originaire du Sénégal, mais vit en Angleterre et Gustavo est originaire du Venezuela et vit en France. Est-ce que cette distance vous donne la liberté nécessaire pour revoir la culture de vos racines tout en la mariant à d’autres?

OS : Vous dites quelque chose de très puissant! La question est la réponse : oui! Parfois, quand vous êtes chez vous, dans le pays où vous êtes né, la tradition est tellement forte, tellement puissante, présente partout sur les différentes scènes, que ça vient interférer [dans le processus de création]. Quand nous sommes à l’extérieur, nous avons une autre perception, un autre point de vue sur la tradition et parfois nous voyons des choses que nous ne pourrions pas voir si nous étions dans notre patrie. C’est l’un des éléments que j’apprécie par rapport au fait que je ne vis pas dans mon pays natal : je donne plus de valeur à mes racines, à la tradition. Ensuite, j’ai la chance de voir mes racines avec une perspective différente, parce que ça m’amène à me déplacer et à découvrir d’autres cultures et à les connaître. Ça me rend plus universel et pour moi, c’est un élément particulièrement puissant en cette ère de l’humanité.

NH : Ce mariage des cultures se répercute jusque dans ce que vous mangez, n’est-ce pas?

OS : Vivre à l’extérieur de Cuba m’a donné la chance de découvrir de nouveaux repas incroyables! Quand vous découvrez la nourriture, tout change autour de vous parce que la saveur des mets vous plonge dans une certaine dimension. C’est comme la première fois que je suis allé au Maroc : j’ai goûté le couscous et le tajine et j’ai dit «  mais qu’est-ce que c’est que ça? » Les épices comme le curcuma, je les garde et je les mets ensuite dans mon assiette et soudainement un autre plat prend forme à partir de deux cultures. Mais la bonne chose, à mon humble avis, est de connaître le juste dosage de ces épices, afin de ne pas étouffer aucune culture. Et c’est ce que j’aime vraiment lorsque je crée de la musique avec d’autres gens. On se dit « less is more ». Parce qu’avec une dose de curcuma et avec une dose, disons, de romarin, vous pouvez créer quelque chose, mais vous devez savoir combien vous en mettrez et lorsque nous avons fait ce projet, ç’a fonctionné comme ça.

 

 

NH : J’imagine que ça découle de la même logique, mais quand on écoute Transparent Water, c’est principalement un album acoustique, mais vous n’avez pas hésité à y glisser un piano électrique, du clavier ou certains outils électroniques.

OS : Aujourd’hui, on ne peut pas échapper à la technologie. J’aime certains éléments que nous apporte la technologie. Je n’aime pas tout, mais aujourd’hui, la technologie nous mène à des voitures autonomes… C’est un autre élément disponible. Maintenant,  il faut savoir ce qu’on veut offrir : quelque chose d’électronique ou quelque chose de naturel? Mais on n’est pas limité à un seul format. Cela dit, l’échantillonnage qu’on peut entendre sur l’album est fait à partir de sonorités traditionnelles. Les échantillons proviennent du Mozambique, de certains endroits en Afrique du Sud. Donc on a utilisé l’électronique, mais pour reproduire le son naturel ou pour insérer des échantillons dans les sons naturels.

NH : Vous avez enregistré l’essentiel de l’album en 2013, mais l’album n’a pas vu le jour avant 2017. Pourquoi s’est-il écoulé tant de temps avant qu’il ne paraisse?

OS : J’ai une philosophie : si le message vient, ce n’est pas une raison pour s’arrêter. Si j’ai le sentiment que je dois faire quelque chose, pourquoi je ne le ferais pas parce que le marketing ou l’étiquette de disque [ne sont pas au rendez-vous]? J’enregistre la musique en m’appuyant sur le calendrier pour voir quel est le meilleur moment pour faire paraître l’album. […] Ce type de musique n’est pas figé dans le temps. C’est un moment d’expression. On a gravé ce moment et quand on a fait paraître l’album, il a fallu retrouver cet état pour lui donner suite. Mais le message est déjà là, la philosophie est déjà là. Le projet que je ferai paraître l’an prochain a été enregistré il y a quatre ans… Et ce sur quoi je travaille présentement paraîtra en 2022… J’aime faire les collaborations avec les gens et parfois ça prend du temps pour faire des recherches, aller dans des villages, étudier certains aspects, enregistrer les ancêtres, trouver une manière de travailler avec eux, faire le montage et mettre les éléments contemporains. […] On n’a qu’une vie. On fait de ce genre de projets, parce qu’on aime ça. On doit être en paix avec notre âme et si la musique est quelque chose que vous devez partager, alors partagez-la! Je dis toujours ça parce que ce message, si vous le partagez, vous verrez les choses sous un autre angle et ça peut vous aider à comprendre des choses ou même vous aider à vous déplacer dans une autre dimension, plutôt que de rester au même endroit. On a décidé l’an dernier qu’on enregistrerait une suite à Transparent Water l’an prochain… On passe du bon temps avec ce projet!

Omar Sosa sera de passage au Palais Montcalm le 13 mars 2019, à 20 h, en compagnie de Seckou Keita et de Gustavo Ovalles.