GoGo Penguin: quoi de neuf sur la banquise ?

7 octobre 2025

Catégorie Le Journal de Nicolas Houle
Types Entrevue
Écrit par : Alain Brunet

GoGo Penguin: quoi de neuf sur la banquise ?

Publié initialement par PAN M 360

Évoluant aux côtés du pianiste Chris Illingworth et du batteur John Scott, Nick Blacka est le contrebassiste du trio britannique GoGo Penguin. Depuis 2012, on doit à ce trio de Manchester 7 albums studio, 2 EP, 3 enregistrements publics, une mise en nomination en 2014 dans la liste courte du Mercury Prize.

On ne parle vraiment pas d’un groupe émergent sur la banquise du jazz en proie aux changements climatiques, encore moins un cri de ralliement pour l’équipe de Sidney Crosby !

Au cours de la décennie précédente, GoGo Penguin avait été identifié parmi les trios phares de cette nouvelle esthétique, certes associée au jazz, mais aussi au math rock, au prog ou à l’électro de pointe.

Ces trios acoustiques (ou presque) ont en commun la primauté du travail collectif, et une approche plus ténue des expressions individuelles. Une tendance, assurément.

En juin dernier, l’album Necessary Fictions était mis en marché, on se doute bien que sa matière constitue le plat principal de la tournée québécoise et canadienne du groupe, dont le Palais Montcalm sera une escale importante, le jeudi 16 octobre.

Et c’est pourquoi PAN M 360 a été mis en relation avec Nick Blacka pour l’interview que voici:

PAN M 360 : Commençons par votre nouvel album, Necessairy Fictions. Qu’est-ce qui a été accompli si on fait une chronologie de votre évolution discographique?

Nick Blacka : V2.0, notre 2e album, avait été nommé pour le Mercury Prize. C’est alors qu’on a commencé à porter plus d’attention à ce que nous faisions. Et puis nous avons signé chez Blue Note, chez qui on a fait les albums Man Made Object, A Humdrum Star et GoGo Penguin (homonyme). Deux autres albums suivirent chez XXIM Records, dont le tout dernier. Ça a été un long voyage… même si la vie est courte!

PAN M 360 : Oui, la vie passe très vite, mais c’est un très bon achat d’enregistrer 9 albums, 9 collections de nouveaux morceaux, et ça continue.

Nick Blacka : Comme la vie, n’est-ce pas ? Vous vous regardez en photo plusieurs années après sa prise, et vous réalisez avoir vieilli. Nous disons toujours que chacun de nos albums est un instantané, un polaroid de qui vous étiez à une période précise. L’idée d’un nouvel album est donc de rester fidèles à nous-mêmes, honnêtes et ouverts par rapport à ce que nous sommes devenus.

PAN M 360 : Il y a effectivement danger de se trouver prisonnier de son image et faire du sur-place comme c’est si souvent le cas dans la musique.

Nick Blacka : Exact, et donc nous ne nous inquiétons pas trop de ce que le monde extérieur pense de nous. Il faut encore et toujours prendre des risques. Nous voulons ainsi explorer de nouveaux territoires.

PAN M 360 : Et quels sont ces nouveaux territoires, dans le cas qui nous occupe?

Nick Blacka : Nous avions toujours utilisé un peu d’électronique et des synthétiseurs, mais je pense qu’il y en a plus sur le nouvel album. Depuis longtemps, toutefois, l’usage de ces machines nous a amené à penser différemment la composition.

PAN M 360 : Pouvons-nous être plus précis sur certains exemples? Notre lectorat est aussi intéressé à connaître les paramètres de vos compositions.

Nick Blacka : Un bon exemple serait une pièce du nouvel album, What We Are and What We’re Meant to Be. L’influence électronique y est très nette: la basse très lourde provient d’un synthétiseur. Puis on joue les instruments acoustiques par-dessus, mais c’est très proche de la musique de danse. Seules quelques pièces de cet album portent ce genre d’idées, je pense aussi à Naga Ghost.

PAN M 360: L’influence électro vous a donc mené à en jouer en plus de l’évoquer acoustiquement.

Nick Blacka : Par le passé, on a souvent évoqué les formes de la musique de danse, que l’on exprimait avec nos instruments acoustiques. Maintenant, on essaie parfois d’utiliser les synthétiseurs, même si la basse et la batterie restent au cœur de ce que nous faisons.

PAN M 360 : Beaucoup de mélomanes qui aiment la musique d’improvisation et les nouveaux types d’hybridation du jazz et d’autres styles connaissent GoGo Penguin et apprécient votre musique. Votre succès est aussi attribuable à la tendance dont vous êtes issus: petits ensembles de jazz cohésifs, très solides rythmiquement, et moins portés sur les solos.

Nick Blacka : Comme vous dites. Mais il y a des moments où nous improvisons, bien sûr, et surtout en live, les choses changent. Il y a bien sûr des solos de basse, de piano ou de batterie, mais c’est lorsque ça sert la musique, plutôt que chaque pièce.

PAN M 360 : Et, juste avant l’émergence de votre génération, il y avait eu des précédents.

Nick Blacka : Quand j’étais ado, je fus influencé par des groupes comme Portishead (trip-hop) ou Ronnie Size Reprazent (drum’n’bass). Ces groupes, entre autres, prenaient des échantillons de contrebasse ou de batterie, c’était vraiment inspirant. Et nous y revenons toujours. Personnellement, j’ai étudié le jazz à l’école, j’ai fait mon diplôme en jazz, j’ai appris de tous ces styles différents, et je suis devenu très enthousiaste par l’idée de jouer du bebop et des standards. Mais il y a eu un moment où c’était cool de faire autre chose et nous sommes restés fidèles à notre intérêt pour de nouvelles fusions.

PAN M 360 : On peut quand même parler d’une tendance: dans les années 2010, on a vu plusieurs groupes du genre émerger au Royaume-Uni -Get the Blessing, Neil Cowley Trio, The Comet Is Coming, Sons of Kemet, etc. Maintenant, on peut le voir ailleurs en Europe et aussi en Amérique du Nord. La suite?

Nick Blacka : Je pense que la façon dont nous jouons et composons est juste en phase avec la culture musicale de notre époque. Nous venons de ce bouillon de culture. À Manchester, notre ville, les styles de musique sont nombreux et dynamiques sur la scène locale, il y a forcément des mélanges qui se produisent. Vu la difficulté de financer tout ça, une attitude DIY s’est développée. Alors on n’hésite pas à mettre des choses en commun.

Les deux choses qui ressortent toujours de Manchester sont le football et la musique. Pour une ville pas aussi grande que Londres, Manchester a beaucoup apporté musicalement. Peut-être parce qu’il y pleut beaucoup… je ne sais pas. Tout le monde veut faire de la musique ici!

PAN M 360 : Chose certaine, le travail d’équipe l’emporte sur tout en ce qui vous concerne!

Nick Blacka : C’est plus qu’un travail d’équipe, c’est aussi la joie d’être dans un groupe. Chacun a sa force, chacun contribue, ça ne se fait pas seul. C’est la beauté de tout ça. Chacun d’entre nous pourrait faire des carrières solo, mais nous préférons rester au sein de ce groupe. C’est grand, ce sentiment de musiciens qui travaillent ensemble. C’est ce que nous ressentons, en tout cas.

PAN M 360 : Peu importe la forme que cela peut prendre!

Nick Blacka : Oui, nous sommes arrivés à ce point que nous ne nous inquiétons plus si c’est du jazz ou autre chose. Nous faisons de la musique, nous essayons d’écrire des morceaux, et nous souhaitons que ça résonne émotionnellement. C’est notre point focal.

PAN M 360 : Comment cela se passe-t-il au quotidien?

Nick Blacka : La musique est surtout écrite par Chris et moi qui vivons à Manchester. Nous faisons beaucoup de travail de développement ensemble. John est à Londres, et il vient travailler avec nous pour des sessions de travail intensives. Nous passons donc une bonne partie de notre vie ensemble, nous évoluons ensemble. Ces vies communes se trouvent forcément dans notre musique.

Oui, oui. Si vous demandez à quelqu’un dans le monde, les deux choses qu’ils diront sur Manchester sont la musique ou le football. Ce sont les deux choses. Pour une ville qui n’est pas aussi grande que Londres, l’histoire et l’héritage de la ville et ce qu’elle a apporté en termes de musique est considérable. Peut-être parce qu’il y pleut beaucoup… je ne sais pas. Tout le monde veut faire de la musique ici!

PAN M 360 : Et comment tout ça peut-il résister à l’usure du temps?

Nick Blacka : Nous sommes plus âgés, nous sommes au milieu de nos vies, mais nous sommes toujours à nous demander ce qui est à venir. Nous cherchons toujours à avancer dans l’authenticité et le désir de communiquer quelque chose de personnel, sans avoir ce défi de tout changer.

 

En concert le 16 octobre 2025