Ulf Wakenius, toujours heureux de rendre hommage à feu son employeur, Oscar Peterson (1925-2007)

17 octobre 2025

Catégorie Le Journal de Nicolas Houle
Types Entrevue
Écrit par : Alain Brunet

Ulf Wakenius, toujours heureux de rendre hommage à feu son employeur, Oscar Peterson (1925-2007)

Publié initialement par PAN M 360

Dans ses dernières configurations orchestrales ayant marqué l’histoire du jazz, l’ensemble du célébrissime pianiste Oscar Peterson était constitué de feu le prodigieux contrebassiste danois Niels-Henning Ørsted Pedersen (NHOP), de feu le batteur anglais Martin Drew et du guitariste suédois Ulf Wakenius, qui participe au Oscar Peterson Centennial Quartet. L’objet essentiel de cet ensemble, est-il besoin de le rappeler, est de commémorer le centenaire du supravirtuose montréalais, disparu le 23 décembre 2007.

Comme il l’a fait l’été dernier à la Maison symphonique de Montréal dans le contexte du Festival International de Jazz de Montréal, le guitariste Ulf Wakenius se produira le vendredi 24 octobre au Palais Montcalm. On pourra voir et écouter cet excellent guitariste aux côtés du superbe pianiste canadien (d’origine hongroise et tzigane) Robi Botos, du contrebassiste manitobain Mike Downes et du batteur montréalais Jim Doxas, d’ailleurs récipiendaire 2025 du Prix Oscar-Peterson décerné par le FIJM et remis en mains propres par notre Oliver Jones national.

Le profil biographique du Suédois Ulf Wakenius nous rappelle qu’il est l’un des plus réputés guitaristes de jazz issu de Scandinavie. Sa réputation remonte aux années 80 avec la formation Guitars Unlimited. Puis vint son association avec le regretté Niels-Henning Ørsted Pedersen, fabuleux sideman d’Oscar Peterson, ils enregistrèrent ensemble Those Who Were (1996) et This Is All I Ask (1998). Wakenius fut à la tête du groupe Venture (1992), qui attira en son sein le batteur Jack DeJohnette, les saxophonistes Bill Evans (pas l’autre) et Bob Berg, le trompettiste Randy Brecker, le pianiste Niels Lan Doky, les bassistes Chris Minh Doky et Lars Danielsson. Avec le pianiste Haakon Graf il a formé le groupe Graffiti, qui avait accueilli des musiciens américains de premier plan. Sa discographie est riche, compte plus d’une quinzaine d’albums en tant que leader (dont plusieurs opus sous étiquette Act) et encore plus en tant que sideman.

Hormis le fameux quartette d’Oscar Peterson, le guitariste fut aussi de l’aventure de Trail of Dreams avec le tandem OP et Michel Legrand (2000).

En amont du concert de Québec, soit le vendredi 24 octobre au Palais Montcalm, PAN M 360 a causé une bonne demi-heure à Ulf Wakenius, joint chez lui en Suède.

PAN M 360 : Nous sommes ravis de parler avec vous, chez vous. Où vivez-vous en Suède?

Ulf Wakenius : À Göteborg.

PAN M 360 : Vous êtes venu jouer plusieurs mois au Canada, avant et après la mort d’OP. Vous êtes maintenant, le seul membre vivant impliqué dans cet ensemble Oscar Peterson Centennial. Vous en êtes donc le membre le plus éminent!

Ulf Wakenius : Je commencerais par rappeler ceci : me joindre à l’ensemble d’Oscar Peterson fut la réalisation d’un rêve de guitariste. Un super honneur! Pendant plus de 10 ans, je me suis retrouvé dans les souliers de mes idoles guitaristes ayant joué jadis avec OP, je pense à Joe Pass, Barney Kessel et Herb Ellis. J’ai pu vivre cette générosité et cette grandeur d’âme que notre Oscar montrait à nos côtés. Alors, quand j’ai la chance de l’honorer en jouant sa musique, je le fais avec grand plaisir, et ce partout dans le monde. Plusieurs musiciens du Canada, des États-Unis ou d’Europe ont eu l’honneur de jouer avec lui.

PAN M 360 : Des musiciens m’ont déjà confié qu’OP n’a pas toujours été le plus cool avec certains de ses sidemen. De votre côté?

Ulf Wakenius : Peut-être mais… de mon temps, il était heureux, accueillant et calme avec ses collègues. Mon expérience avec lui était toujours super encourageante et suscitait la loyauté. Quand vous étiez admis dans ce groupe, c’était parce que vous pouviez jouer et vous aviez donc son respect. Et je dois répéter que Niels Henning et moi l’avons adoré. Ce fut l’expérience d’une vie que de jouer avec une telle légende.

PAN M 360: Oui, un digne successeur de ses principales influences : Teddy Wilson, Nat King Cole (excellent pianiste avant de faire crooner), d’abord et avant tout Art Tatum. Près de deux décennies après la mort d’OP, comment se sent-on d’être impliqué dans un groupe hommage aux côtés de musiciens canadiens plus jeunes que vous?

Ulf Wakenius : Honnêtement, je peux jouer seulement des concerts hommages pour Oscar avec des musiciens comme ceux-ci qui sont exceptionnellement bons.

Mes amis canadiens sont fantastiques! C’est un pur plaisir que de jouer de la musique d’Oscar avec eux.

PAN M 360 : Les jazzmen canadiens et scandinaves ont certainement des affinités septentrionales!

Ulf Wakenius : Oui! Je me sens toujours un peu à la maison quand je suis au Canada. Bien sûr, la nature est très similaire. Les forêts, le froid, la neige… Et nous avons exporté quelques joueurs de hockey chez vous!

PAN M 360 : Exact! Nous en avons de très bons. De la Suède, de la Finlande, du Danemark.

Ulf Wakenius : Je suis suédois, j’aime le hockey !

PAN M 360: Comment voyez-vous votre propre évolution à travers ces fantastiques expériences en tant que joueur de guitare? Qu’avez-vous appris ou quelles choses avez-vous changé en jouant avec OP?

Ulf Wakenius: J’ai toujours été impressionné par son comportement sur scène, au-delà de sa virtuosité. Un des meilleurs hommes que j’aie rencontré dans ma vie. Il donnait vraiment tout pour le public, soir après soir. Donc, j’ai appris que vous donnez toujours 100%. Si OP pouvait le faire, nous le pouvions. C’était très inspirant! Chaque soir, il jouait magnifiquement. C’était tout simplement merveilleux!

PAN M 360 : Et comment cela s’est-il passé après son AVC qui avait affecté sa main gauche?

Ulf Wakenius : Il avait dû, vous savez, réapprendre comment bouger sa main gauche. Et c’était aussi très courageux de sa part que d’explorer et trouver de nouveaux côtés de lui-même. Ainsi, Oscar était devenu plus tendre et plus lyrique. Ce qui l’a mené à écrire des pièces comme When Summer Comes, une de ses plus belles que l’on joue systématiquement dans nos concerts hommage. Je me souviens que nous nous étions produits au Hollywood Bowl à Los Angeles et lorsqu’Oscar avait joué, chaque note refaisait l’histoire d’un demi-siècle de piano jazz. Sa touche était sublime! Même après cette grave maladie, sa main gauche pouvait en faire beaucoup.

PAN M 360 : J’imagine qu’après son AVC, les liens se sont resserrés entre vous, ses musiciens et lui formiez une famille plus proche.

Ulf Wakenius : Oui. Une fois que vous étiez acceptés, vous étiez dans la famille. Et il était exceptionnellement généreux, vous savez. On se retrouvait chez lui, à son domicile de Mississauga; pendant que sa femme cuisinait pour nous, et il nous racontait des histoires extraordinaires. Extrêmement généreux !

PAN M 360 : Sa fille Céline vous accompagne dans plusieurs concerts pour rendre hommage à son père. Elle était là aussi l’été dernier au concert de Montréal.

Ulf Wakenius : C’est vrai. Je suis allé partout dans le monde avec Céline. C’est une famille pour moi, vous savez.

PAN M 360 : Et dans cette famille, le pianiste doit être extrêmement doué car il doit évoquer OP sans l’imiter. Vous avez donc avec vous un pianiste hongrois et tzigane qui fut écouté par Oscar et qui apprit de lui : Robi Botos.

Ulf Wakenius : Donc, c’est crucial d’avoir un joueur fantastique pour rendre hommage à Oscar Peterson. Et Robie est fantastique, il a été repéré par Oscar pour cela. Il a ce swing d’Oscar, mais en même temps il est curieux et il peut faire autre chose au piano.

PAN M 360 : Quelle est la relation avec ces gars de l’Oscar Peterson Centennial Quartet?

Ulf Wakenius : Ils sont exceptionnellement bons. Mike Downes est plus qu’un très bon joueur de basse, il a arrangé la pièce Trail of Dreams qu’on a jouée au Japon. Et Jim Doxas est plus qu’un joueur de section rythmique, il fait vraiment beaucoup de choses à la batterie, il est super.

PAN M 360 : Oui, et Jim a joué pendant de nombreuses années avec Oliver Jones, qui fut un émule d’Oscar Peterson, élevé dans le même quartier et éduqué musicalement par Daisy Peterson-Sweeney.

Ulf Wakenius : Oui, Oliver Jones fut un merveilleux joueur.

PAN M 360 : Comment gérez-vous les deux instruments harmoniques dans ce genre d’ensemble? Oscar a beaucoup joué avec des guitaristes depuis ses débuts. Mais en même temps, ce n’est pas toujours évident que d’avoir une guitare et un piano dans un quartette et maintenir le dialogue en temps réel entre ces deux instruments.

Ulf Wakenius : C’est vrai. Vous savez, cette question revient souvent. Et j’ai toujours eu cette réponse : C’est très facile, utilisez vos oreilles, jouez lorsque vous devez jouer, et aussi cesser au moment opportun. C’est juste une question d’écoute.

PAN M 360 : Quel espace de jeu vous a-t-on accordé chez OP?

Ulf Wakenius : Oscar a été extrêmement généreux. Il m’a laissé jouer beaucoup de solos, j’ai eu beaucoup d’espace pour m’exprimer. Je me pince en me rappelant tout ça. Ce fut fantastique.

PAN M 360 : Avez-vous changé le programme de l’été dernier pour le concert de Québec?

Ulf Wakenius : Il y aura de nouvelles pièces, d’autres seront les mêmes, je ne veux pas révéler le programme! Disons que ce qui doit être toujours joué, ce sont deux morceaux : Hymn to Freedom et When Summer Comes. C’est tellement beau! J’adore aussi Cakewalk… Et puis nous jouons différents morceaux de différentes époques.

PAN M 360 : Chose certaine, nous sommes très heureux de vous avoir de nouveau avec nous au Québec!

Ulf Wakenius : Oui, j’ai hâte, ça va être génial!

PAN M 360 : Pouvez-vous nous dire vos autres activités prochaines?

Ulf Wakenius : En bref, je joue ma musique partout dans le monde, avec différentes formations. Et je participerai à un autre hommage à Vienne, avec un ensemble européen avec des cordes et, bien sûr, du piano. Chaque fois que l’on me donne l’occasion de rendre hommage à Oscar, je le fais. Je suis donc un homme heureux!