MachiNations Yannick Rieu en 5 questions

10 mars 2020

Catégorie Le Journal de Nicolas Houle
Types Entrevue
Écrit par : Nicolas Houle

Yannick Rieu en 5 questions

Avec MachiNations, Yannick Rieu ratisse large. Non seulement va-t-il bien au-delà des frontières stylistiques du jazz, mais il se plaît à varier les instrumentations acoustique, électrique et électronique afin de proposer quelque chose bien à lui. À la veille de donner forme à ce projet dans la salle D’Youville, le 13 mars 2020, avec Daniel Thouin (claviers), Morgan Moore (basse), Kevin Warren (batterie) et François Jalbert (guitare), Yannick Rieu a répondu à nos questions.

Nicolas Houle : Sur MachiNations, les limites stylistiques volent en éclats : on y trouve autant de la world que bien sûr du jazz, des envolées atmosphériques ou une rythmique électronique. Était-ce votre objectif premier : d’œuvrer sans limite ou contrainte?

Yannick Rieu : Les différents projets que je propose depuis maintenant plus de quarante ans illustrent ce que je suis. Les groupes mis sur pied au fil des années (trio, quatuor, quintette, octuor), acoustiques ou électroniques, reflètent mon état d’esprit à ce moment. Je tente de proposer une musique vivante et donc, par essence, en dehors des définitions académiques même s’il est possible, après coup, de la définir et la mettre dans une case. Je suis en mouvement, ce qui veut dire faire, apprendre, se tromper, recommencer, tomber, se relever. « Aller voir », comme le dit si justement Brel. Fuir l’habileté. Une fois un album fini, l’artiste (je préfère le mot artisan en ce qui me concerne) doit abandonner son rejeton et le laisser vivre sa vie. Cela ne concerne plus son auteur.

NH : Le saxophone soprano occupe une place particulière sur cet album, qui met peut-être même davantage en relief l’aspect mélodique. C’était un choix conscient?

YR : Oui, le saxophone soprano se marie mieux avec les instruments électroniques. Mon approche mélodique avec cet instrument me permet une approche différente qu’avec le saxophone ténor du fait de sa tessiture et du son. 

NH : La présence des voix, que ce soit sous forme d’échantillonnage ou non, est un autre élément intéressant dans ce projet. Comment se sont-elles imposées?

YR : Le choix d’intégrer des voix s’est fait en fonction de leur capacité à bien s’intégrer dans la musique proposée. Leur utilisation s’est tout naturellement imposée pour susciter des émotions spécifiques que j’avais envie de faire naître chez l’auditeur. La signification des mots n’a ici que peu d’importance, mais la musique que ces voix transportaient a justifié leur utilisation.

 

 

NH : Quatre pièces de MachiNations sont jouées seul, avec, justement, des machines. Mais visiblement, vous ne vouliez pas vous limiter à une aventure entièrement solo. Qu’est-ce qui vous a fait aller vers une formation?

YR : MachiNations était à l’origine un projet solo. J’en ai très vite compris les limites. Là se trouve peut-être le lien avec le jazz, c’est-à-dire l’interaction avec le facteur humain. Les machines peuvent être programmées, mais elles ne feront que répéter ladite programmation (il existe de l’aléatoire, mais celui-ci n’a que peu de lien avec ce qui se passe dans le moment présent). Il faut dire en passant que beaucoup de musiciens ne font que restituer une « programmation biologique », leur cerveau ne faisant que répondre dans un champ très limité aux impulsions du moment. Pour moi, la pire façon d’aborder cette musique serait de définir ce qu’elle devrait ou ne devrait pas être pour se voir affublée du nom de jazz. Il n’y a chez moi aucune nostalgie d’un jazz pur. Ce qu’il y a d’intéressant pour moi dans la musique, c’est son caractère unique et dans quelle mesure elle correspond aux individus qui la font. Une fois exprimée, cette « réalité » appartient à tout le monde et enrichit le genre humain. Le poète indien Rabindranath Tagore résume bien ma pensée à ce sujet (extrait du livret de MachiNations) : « Aussitôt que nous comprenons et apprécions une production humaine, elle devient nôtre, peu importe sa provenance. Je suis fier de mon humanité quand je peux reconnaître et apprécier les poètes et les artistes de pays autres que le mien. Qu’on me laisse goûter cette joie sans mélange de savoir que sont miennes toutes les grandes gloires de l’humanité. »

NH : Quelle forme prendra MachiNations en spectacle?

YR : L’idée principale qui pourrait définir MachiNations en spectacle est celle de composer en improvisant. Le meilleur exemple que je pourrais donner est celui du groupe Weather Report où les improvisations sont plutôt collectives que simplement des solos sur une structure donnée. En studio, les possibilités sont plus larges et diversifiées. La musique de MachiNations en spectacle est relativement plus simple et se déploie sur le moment.

 

Yannick Rieu sera en concert à la salle D’Youville du Palais Montcalm le 13 mars 2020.

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